2002/03/01

2002 03 01 Les horizons du futur.


Détails sur le produit

Les horizons du futur de Michel Saloff Coste et Carine Dartiguepeyrou (1 mars 2002)


Depuis une vingtaine d’années, je me suis consacré à explorer le futur. Pourquoi le futur ? Sans doute une certaine anxiété m’a toujours travaillé depuis ma plus tendre enfance… savoir ce que nous allions devenir. J’en ai fait mon métier. J’ai rencontré des milliers de personnes, interviewé des centaines d’experts, lu des dizaines de livres sur le sujet.


Dans mon premier livre « Le Management du Troisième Millénaire », j’ai dressé les grands axes de ce que pouvait être un changement de civilisation. J’ai été étonné de voir ces analyses se vérifier. Je pensais sincèrement que la principale valeur de mon travail était son originalité et sa créativité, le nouveau regard sur les choses que ce livre apportait; je ne pensais pas que l’histoire se conformerait à une projection qui me semblait alors utopique. La nouvelle économie est là, une nouvelle civilisation est en train de naître issue des ruptures créées par les nouvelles technologies de l’information.

Dix ans après la publication de mon premier livre et encouragé par le succès de mes intuitions et recherches passées, je pense qu’il serait passionnant et profitable d’aller encore plus loin et d’oser m’avancer vers les horizons du futur.


Le patchwork


Pour se faire, nous avons défini dix grands thèmes:
L’économie de l’infini
Le robot humain
L’éthique de l’altérité
Le barbare de la modernité
Les matériaux intelligents
La réalité spirituelle
Le futur de l’histoire
L’écologie de la part maudite
L’art du non-sens
La fin de la mort

C’est un patchwork. Le livre peut être lu en partant de n’importe quel point.
Nous avons voulu faire rêver, libérer et ouvrir de nouveaux horizons.

J’ai décidé de faire ce livre avec Carine Dartiguepeyrou : « J’ai pensé qu’il serait bon d’ajouter de la poésie aux thèmes traités par Michel. Notre goût commun de la peinture nous a permis de nous rencontrer sur les chemins de la prospective et a donné ainsi naissance à l’idée des horizons du futur. Mon regard se porte plus particulièrement sur le caractère international et économique des changements à venir. Dans ce livre, j’ai notamment rédigé les poèmes qui introduisent chaque chapitre et porté une analyse critique en guise de conclusion. Je suis également ldes peintures. »

Le rôle du futur

Avant de rentrer dans les différents thèmes, il peut être intéressant de mieux comprendre la position qui a été la mienne dans le travail sur le futur. Travailler sur le futur, l’explorer, l’éclairer est une problématique ancienne. La multiplicité des variables, le caractère indiscernable des lois qui président à l’évolution de ces variables, la nature évidemment aléatoire de certaines d’elles font que le futur apparaît profondément imprévisible. 

Une première manière de répondre à cette imprévisibilité est de croire à la possibilité d’un don surnaturel qui permettrait de voir le futur. Cette tentative magique d’une vision prophétique du futur est sans doute co-substantielle à l’émergence de la conscience. L’homme devient homme en se distinguant de l’animal par sa capacité de réflexion. Il tente de tirer les leçons du passé, pose la question du sens de son présent et tente d’inventer son futur. Le futur est soit déjà écrit, soit totalement aléatoire et indicible, soit à inventer...

Les plus belles aventures de l’homme sont le fait de héros qui ont su vouloir leur futur. La capacité d’anticipation est un facteur clé de la réussite. Il y a une corrélation très profonde entre la capacité à penser un espace et un temps élargis et la réalisation d’un destin ambitieux.

Les personnes qui réussissent à transformer avec succès leur environnement sont celles qui sont capables d’embrasser des intérêts couvrant un espace très vaste et de se projeter dans le futur lointain. 


L’utopie

Etre humain, c’est se poser les trois questions essentielles : les trois grandes questions ontologiques du Bien, du Beau et du Vrai. Ces trois questions nous renvoient vers le passé, mais nous projettent vers le futur. L’utopie au sens propre d’utopos ( qui n’a pas de lieu ) est au cœur de la question de l’homme. 

Dis-moi qu’elle est ton utopie, je te dirai qui tu es.

L’utopie a une fonction fondamentale, celle de combler l’angoisse existentielle de l’homme. L’utopie peut recouvrir le pire comme le meilleur, le déchaînement de la violence, le sectarisme, mais aussi les graines du progrès et la construction d’un monde meilleur profondément ouvert à l’autre. 

La dimension peut-être la plus intéressante de l’utopie est son altérité. 
L’utopie dans sa fonction la plus révolutionnaire introduit du différend. 
Elle est l’espace dans lequel autre chose se cristallise. 

L’utopie est l’arbre de la vie au sens où la vie peut être considérée comme l’efflorescence de l’altérité infinie qui suinte des murs du Même.

Écrire le futur, c’est oser dire je. Je suis le futur que j’invente. Dans cette phrase, la modernité bascule dans la post-modernité. Comme à la Renaissance qui invente la perspective, nous sommes en train d’inventer la prospective. Se projeter dans un futur voulu c’est mesurer son contexte, c’est délier ses talents, c’est affirmer sa singularité.

Chacun en inventant son futur invente son champ de réalité et construit son univers. 

L’homme s’est vécu traditionnellement comme produit de l’univers, la modernité a consacré sa compréhension de l’univers, la prospective nous invite à devenir inventeur de l’univers. 


Prospective et futurologie

Il y a de nombreuses manières d’inventer son futur. La recherche s’est développée dans ce domaine de manière de plus en plus foisonnante. 

On peut dessiner des scénarios en repérant les facteurs clé définissant les principales variables et faire ainsi des modèles quasi mathématiques où l’on fait jouer des variables pour dégager des scénarios hétérogènes : identification de variables, modélisation puis vérification du modèle avec ce qui se passe dans la réalité. Nous sommes là dans une approche qui tente d’être scientifique. Cette approche par variables et modélisation, qui a été particulièrement défendue et développée en France, a souvent été associée au thème de prospective. C’est une approche déductive. 
À l’inverse, il y a l’approche développée plus particulièrement aux Etats-Unis souvent nommée futurologie. Elle est plutôt heuristique. Cette approche consiste à croiser des informations venues de différentes disciplines et à souligner les grandes tendances émergentes. 

Entre les deux, il y a des approches intermédiaires comme celle par exemple consistant à interviewer un nombre d’experts sur un sujet donné et à mesurer ensuite les points de convergence et de divergence.

Au cours des années passées, nous avons été amenés à explorer l’usage de ces différentes approches. Ce livre est le résultat de ce travail. Nous ne sommes pas pour une école ou pour une autre. Nous pensons que toutes les approches ont leurs limites et leurs richesses. 

L’approche prospective est utile pour comprendre de manière plus précise les différents scénarios de sous-systèmes clairement délimités. La futurologie nous aide à dessiner un fond de toile global qui permet d’anticiper les effets de rupture structurels et transversaux. L’analyse de la convergence-divergence des experts montre combien on peut se tromper en adhérant à des consensus trop évidents: un expert isolé peut avoir raison contre tous.

Mon expérience m’a montré qu’au-delà de la capacité à rassembler des données, à en tirer du sens, l’intuition dans sa dimension irrationnelle reste un facteur essentiel de la compréhension du futur. 
Les plus belles descriptions prospectives ont été le fait de créateurs qui libéraient les ailes de leur imaginaire comme Jules Vernes ou Léonard de Vinci.



Chapitre I
L’économie de l’infini



Je cherche à comprendre
Ce monde qui m’échappe
Je me sens comme étrangère
Dans ce monde technique
Qui fait de nous des robots.
Je cherche à comprendre
Ce monde sans âme
Où l’homme n’est plus
Au cœur de toutes choses
Menuisier, musicien ou poète
Il n’y a plus de place
Pour ses rêves et ses contemplations.
Serions-nous devenus des automates ?
Avant même que l’informatique ne fasse de nous ses esclaves
Et que les machines ne se renouvellent entre elles
Je cherche à comprendre
Ce monde qui m’échappe
Où l’homme doit trouver sa place
S’il souhaite continuer de rêver.
L’essentiel de la problématique économique s’est construit autour de la question des échanges et de la distribution d’un ensemble fini de biens. Jusqu’à une époque très récente, la rareté domine. Les historiens nous montrent que la famine endémique est la caractéristique des sociétés agraires qui manquent de moyens industriels de stockage et de transport permettant de lisser les aléas climatiques locaux. L’ère industrielle nous a fait basculer petit à petit dans un univers de croissance continue où l’ensemble des biens se développe rapidement. La société de l’information à travers l’informatisation et la robotisation crée un peu partout une productivité largement excédentaire qui renverse la logique de marché, hier poussée par l’offre, aujourd’hui dépendante d’une demande hypothétique. On comprend alors comment la capacité de production peut tendre à l’infini à mesure que se répandent les technologies les plus  avancées.

Par ailleurs, une part importante de l’économie consiste en des échanges digitaux. L’immatérialité des bits informatiques crée une économie radicalement différente de tout ce que nous avons connu jusqu’alors. Sur Internet, un logiciel peut être démultiplié et distribué instantanément à des millions d’exemplaires à un coût marginal nul. Dans ce contexte, on peut à proprement parler d’une offre infinie. Nous pourrions être des milliards à désirer le même produit et être instantanément comblés.

La première implication de cette nouvelle économie est la disparition magique de l’épée de Damoclès de l’inflation. L’inflation est, en effet, considérée dans l’économie classique comme naissant du différentiel entre la masse monétaire et  l’ensemble des biens en circulation. Quand la masse monétaire croit trop vite par rapport à l’ensemble des biens consommables, il s’effectue un réajustement qui rétablit une juste valeur de la monnaie papier. Ce réajustement manifeste la production excessive de cette monnaie. 

Dans la mesure où de plus en plus de biens auront un coût de production qui tendra vers zéro, et pourront être démultipliés à l’infini, on peut imaginer que le gonflement de la masse monétaire ne produira plus d’inflation : il y aura toujours de nouveaux biens apparemment disponibles pour s’échanger contre du papier. 

Il est possible que nous assistions actuellement à la première figuration de ce phénomène dans le cadre de l’économie américaine où la surchauffe de l’économie, la croissance de la dette et l’expansion de la masse monétaire font craindre une réapparition de l’inflation qui pourtant ne vient jamais. Si cette théorie se trouve confirmée, la question que l’on peut se poser serait en sens inverse : pourquoi n’y a-il pas plus de déflation? Un élément de réponse à cette question est que de nombreux produits ne maintiennent leur prix que par une course en avant dans l’intelligence et la complexité. À coût égal, les voitures d’aujourd’hui par exemple, ont un niveau de complexité et de sophistication sans commune mesure avec les voitures datant de dix ans. Cela est à fortiori vrai pour les ordinateurs. 

Dans beaucoup de secteurs, les entreprises sont engagées dans une course intense à la création de valeur pour le client et pour l’actionnaire qui camoufle de fait une forme rampante de déflation. L’intensité de l’instrumentalisation ne cesse de croître, elle risque de devenir vertigineuse parce qu’elle s’inscrit dans une mutation structurelle qui crée une fracture vers l’infini.
L’homme a très tôt instrumentalisé l’homme. L’esclavage contre le don de la vie après la victoire est sans doute à l’origine de l’invention de l’instrumentalisation. Le barbare chasseur tue, il ne fait  ni prisonniers ni esclaves. Le civilisé agriculteur remplace cette mort par une vie d’esclave. Le troc est remplacé par une monnaie d’échange abstraite. L’empire se construit sur l’instrumentalisation des esclaves conquis par l’empereur. L’économie du territoire sera remplacée par l’économie tout court dans la société industrielle. Je vends ma vie contre un salaire, une autre forme d’instrumentalisation pour un autre temps. 

La perte de valeur des biens devenus des ensembles virtuellement infinis, hystérisent à l’infini l’exploitation de l’homme par l’homme. Il faut aller toujours plus vite, être toujours plus efficace, plus rusé, plus conquérant. Et pourtant chacun semble de moins en moins avoir prise sur une économie qui se dérobe dans une concurrence imprédictible et toujours plus intense. 

Il s’agit de faire des bonds toujours plus grands sur une peau de chagrin de plus en plus réduite. 

Personne ne s’est aperçu que la réalité a disparu ou pour être plus précis sémantiquement parlant, que le réel s’est volatilisé. 

Il n’y a plus de référents, en fait c’est toute la forme de valeur qui a été siphonnée. Et comme les petits personnages des bandes dessinées, nous poursuivons notre course folle dans le vide alors que nous avons depuis longtemps dépassé la bordure de la falaise. 
La course à la création de valeur est d’autant plus intense que la valeur des produits est sans cesse vidée de sa substance par une déflation rampante - l’économie du virtuel ronge l’économie du réel, les atomes sont remplacés par des bits reproductibles à l’infini. Plus on instrumentalise, plus quelque part on détruit de la valeur car l’instrumentalisation n’a plus cours quand la démultiplication à l’infini a une valeur qui tend vers zéro. 

Y a-t-il encore des valeurs ? Quand tout est même, quand tout devient interchangeable, dans une économie de «zéro» et de «un» qui explose à l’infini, la seule valeur qui subsiste reste celle de l’altérité. 

Comme dans un coup de théâtre, à la fin de la pièce, les valeurs s’inversent. 

Ce qui était honni et n’avait aucune valeur devient l’essence de la valeur. Ce que chacun adorait comme la valeur suprême perd tout à coup sens. 

L’homme instrumentalisé, le clone si efficace au cerveau robotisé, devient un clown. 

Dans un monde de robots, la seule valeur radicale qui subsiste est la poésie.
Être authentique, être unique, être génial, trouver en soi son propre référent et sa propre loi, comme le fait tout créateur au cœur de sa création, voilà la seule valeur qui subsiste à la fin de tous les temps. 

Quand le réel se délite, la mode n’est plus à la mode, seule l’éternité s’impose.








Les horizons du futur 

de Michel Saloff Coste et Carine Dartiguepeyrou 















Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire